Je ne m’étais pas rendu compte à quel point tu étais déjà vieille, à quel point j’étais déjà vieux. Je vis désormais au milieu de ce qui meurt lentement, un sourire de toi, ton manteau tombé de la patère dans l’entrée. Tu ne vieilliras plus. Quelque chose aboie dans le lointain et ce n’est pas un chien. L’air est si froid derrière la vitre. Il y a cette force couchée près de moi. Un miroir blanc. J’avais si peur de te perdre, si peur d’être en retard. Tout ce que nous avons vu se perd maintenant dans l’ombre. Ce qui cogne en silence dans ma tête, ce sont tes yeux grands ouverts. Moi, j’avance à l’aveugle. Je te déshabille dans le noir. Quand cesserai-je enfin de parler de toi ?

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Le temps s’en va, le temps s’en va, écrivait Ronsard. Oui, le temps s’éloigne je ne sais où. Il tombe de ta chevelure, de tes lèvres, entre tes doigts. Et tu t’enfuis bras dessus, bras dessous avec lui par le couloir. Et il t’emporte en laissant là tes livres et tout ce qui t’appartenait et que je n’ose plus toucher. Il est terrible sais-tu, le bruit de tout ce silence. Même ta voix que j’aimais tant avec ton accent d’ici, elle déserte le matin dans la cuisine. Pour qui est-il désormais ce matin radieux dans le jardin ? Seul demeure en moi tes rires rares comme des diamants que je m’obstine à regarder sur les photos. Des rires qui ne font plus aucun bruit. Des rires de papier. Je n’ai plus de toi que l’image de ton corps emporté par le temps qui s’en va dans le couloir.

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Quelque chose s’effondre en moi. Quelque chose qui te contient, te ressemble. Je chute parmi les scories, les gravats de nos monuments, des stèles lumineuses fendues, des éblouissements fêlés, des socles fracassés de souvenirs un peu passés, quelques lambeaux de mémoire. Et je n’en finis pas de descendre vers la dislocation du sol, dans un ralenti hypnotique. Il y a quelque chose d’interminable dans ce lent vertige. Un désordre d’images, de douleur et de joie. C’est l’heure du crépuscule. Les volets sont inutiles dans l’obscurité. Une ambulance vide passe lentement dans la ville déserte. Un chien aboie dans le jardin d’à côté. J’attends d’atteindre la pierre dans les hautes herbes.

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Je ne supporte pas d’entendre ma voix dans la maison. Elle appelle ta présence impossible. Elle violente ce que tu n’es plus, cet être vivant qui habitait tout l’espace avec ton parfum de femme si simple, si complexe. Je ne supporte plus de t’écrire sans réponse. Un jour cela doit s’arrêter. Sans oubli. Le temps te gomme sans t’effacer tout à fait. Demeure un visage, ton visage qui te ressemble encore mais qui n’est plus celui que je pouvais embrasser. En moi tu n’es pas morte vraiment mais tu n’es plus tout à fait vivante non plus. Sur la photo de la cheminée, tu regardes juste au-dessus de l’objectif. Sur la photo non plus tu n’es pas tout à fait là. Où va ma voix que tu n’entends plus ?

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Cette nuit, je me suis installé dans ta tête. La fenêtre donnait sur un petit marché. Tu l’as ouverte et tu es restée longtemps à regarder les marchands de quatre saisons. Il faisait un temps merveilleux. Brusquement, tu es descendue acheter des mangues. On ne vit jamais d’amour et d’eau fraîche. On vit d’images qui dansent en nous bien après notre mort. Toi, tu ne m’auras jamais quitté. Nous aurons rêvé le monde et un jour le monde nous aura oublié. Mais pour l’instant, seule demeure ta silhouette devant la fenêtre de ce petit hôtel et moi qui te regarde en cette grasse matinée.

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Parfois je me demande si tu as été heureuse avec moi. Mais c’est une inquiétude passagère. Comme si je me demandais si j’avais bien fermé le robinet, fermé la porte à clef en sortant. Je te revois sur quelques images volées. Tu sembles heureuse. L’étais-tu vraiment ? Tu ne savais pas poser. Tu étais posée. Souvent impatiente, quelquefois patiente. Je n’ai jamais su pourquoi. Les chattes ne s’y trompaient pas. Dès que tu t’asseyais, elles venaient s’installer sur tes genoux en ronronnant. Ce matin, je ne demande rien d’autre que cela. Poser ma tête sur tes genoux. Être heureux près de toi et en silence. Apaisé des mots que je dois écrire. Le ciel est gris. Tu serais triste. Je le suis sans toi. Cela devrait être simple l’absence. C’est lourd comme tes derniers pas dans le couloir.

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Ce matin, cela aurait fait quarante six ans. Je t’aurais étreint dans un sourire comme au premier jour. On se serait étonné tous les deux d’avoir tenu si longtemps. Ce matin-là aurait été un peu plus beau que tous les précédents. T’aimer à ce point aura été ma seule certitude. Demain matin j’ouvrirai les fenêtres sur la rue. Il y aura quelques écoliers qui se pressent, de vieilles dames lentes et des jeunes demoiselles à bicyclette. Mais sur la terrasse, il n’y aura qu’un seul bol sur la table.

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Mais qu’il est beau encore le monde sans toi ! Avec son vent dans les frondaisons, ses bruissements et ces parfums. Ces bourgeons qui ne demandent qu’à éclore. Ce monde au milieu de l’univers où le temps n’existe pas. Et toi, cette lumière immobile et apaisée, dansant en moi, ce corps absent qui n’a plus mal nulle part, qui n’a plus besoin de rien. Tu n’es même pas une exilée, tu n’attends nul oracle. Tu tiens dans tes mains cette lettre que je t’envoie mais tu n’as plus besoin de la lire. Tu n’es même plus un cadavre. Tu chantes juste dans le vaste désordre des bruits. Je t’écoute respirer l’eau vive dans ton harmonica. Ce que tu m’as offert est si grand que je ne peux le retenir.

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Je reviens à moi par ce charme que tu as rompu, par la débâcle des vasques brisées là où dorment encore nos images, par ma chair qui se dénoue pour danser sans toi au milieu du paysage, ce paysage qui te contient dans l’immense partage que tu laisses, tes yeux dans toutes mes larmes qui sèchent comme elles peuvent, cet héritage si grand qu’il n’entre pas dans cette phrase interminable, chaos de mots qui cherche ton récit, ta silhouette s’éloignant sur les chemins, ton sourire espéré dans les rigueurs de ton dernier hiver qui s’éloigne. Je reviens à moi mais rien ne me séparera jamais de toi, rien ne pourra détruire les stèles de tous nos musées visités, nos démesures d’aimer, ce miracle qui nous fut offert cette nuit-là d’avril, parce que je suis nous autres depuis cette nuit-là d’avril et qu’il ne pourra jamais en être autrement.

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Laissez-moi partir maintenant. Ne me retenez pas. Je saurai trouver l’endroit où tu te trouves. C’est un lieu magique ou dorment les animaux. Où toute l’enfance est lavée de toutes ses blessures. Je vois ton visage sur ton lit de mort. Apaisé de tout. Comme tu es belle. C’est ce moment de silence infini entre toi et moi. Ce moment où l’on ne s’est jamais rien dit parce que tout était dit. Ce moment d’infinie mélange de ce que nous fûmes. Tu regardes la prairie et soudain elle devient éternelle. Nous avons payé toutes nos dettes et maintenant nous sommes libres. Tout ce que je respire t’appartient. Je vais essayer de t’oublier pour ne plus t’aimer dans la douleur. Tu es morte et je suis encore vivant. C’est comme ça que cela s’écrit.

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Je t’aurai embrassé dans le feu de nos trente ans. A la fin nous nous étreignions comme pour souffler sur les braises, ranimer quelques incandescences. Et puis il y a eu ce bruit lointain dans la nuit. Un bruit de rouille qui se rapprochait. Il couvrait nos voix pour effacer ce qui fut. Aujourd’hui le temps ressemble à un arc détendu, une cible trouée qui cherche un apaisement. Tu reviens me sourire comme avant dans la multiplication des aurores. Un jour je te rejoindrai sous l’acacia. Tu broderas mes mots comme autrefois. Blanc sur blanc. Comme la femme qui n’était pas là.

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Comment me délivrer de cette peine qui m’écrase au sol, de ce soleil de plomb sur mes épaules ? Ne vaut-il pas mieux plutôt la mort une bonne fois pour toute que cette douleur qui m’érode jour après jour comme les vagues sous la dune ? Explique-moi comment le temps passe là où tu es, cette heure que tu n’habites plus, la mémoire sans toi, ton invisible corps dans la maison. Il fait si beau ce matin, mais pour qui ? A quoi sert toute cette douceur du printemps si tu n’es plus là pour la regarder près de moi ? Quel oiseau dans le sureau peut me donner le sens de ton envol ? Avant, je t’aurais pris par la main comme on invite à une valse. Ma nuit des mots, toute ma nuit secrète se serait dissoute dans tes yeux avec leur musique qui va avec. Mais il n’y a qu’un bruit de larmes sur le silence de mon ordinateur. Pénélope passante qui écrit sur le clavier des phrases illisibles.

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Tout s’éloigne, tout s’efface. Les belles images. Ton corps devant le miroir. Le son de ta voix dans la terre. Le printemps sans toi. Je vais dans la salle de bain sentir tes flacons de parfum comme un chien qui cherche un os. Les minettes se frottent les joues partout pour te retrouver elles-aussi. Les jours sont d’une tristesse lancinante malgré le jardin ensoleillé. Je vis dans ton lit, dans tes draps. Je te vois même, parfois. Je te vois habiter ce silence dans la maison. J’entends tes appels. Ce qui se souvient, c’est le corps. Cette part sauvage, lointaine et tellement proche. Dans l’éveil, je me promène avec toi dans le ventre.

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Tu auras toujours trébuché sur les mots et quelquefois même dans la rue. Ce fut longtemps anodin, à la fin ce fut terrible. Nous rêvions tous les deux d’un corps neuf comme en rêvent les vieux. Nous imaginions parfois quelques nouveaux départs, de nouvelles circulations. Tu aimais l’ordre et le silence. Le soir tu enlevais lentement tes habits. Tu les posais avec élégance au pied du lit. Il y avait bien sûr ton tricot vert celui que je préférais entre tous. C’est dans celui-là que ton corps brûla. Tu disparus dans ton beau tricot vert, celui que tu aimais tant. Tu as toujours aimé le vert. Ça allait avec tes yeux. Il y avait le vert de tes robes, le vert de tes pantalons, le vert de tes boucles d’oreilles, le vert de tes lunettes, celui de tes colliers. Au printemps on se mettait au vert dans notre campagne. Nous étions envahis par le vert. Le vert débordait des fenêtres, des arbres, des prairies. C’est fou les nuances de verts qu’il y avait dans notre vie. Aujourd’hui tu demeures à jamais dans le vert de ma vie. Il ne peut en être autrement.

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Le ciel se couvre ce matin. Il fait presque nuit. Le temps ressemble à mon cerveau. Comme si le jour avait peine à exister. Je ne sais pas ce qui se passe dans la tête des passants. C’est comme si tu avais emporté le soleil avec toi dans les flammes. Un jour peut-être je le retrouverai abandonné sur un banc du Jardin des Plantes. Tu m’auras attendu. Tu me le tendras comme une écharpe tombée pendant la promenade. Tout sera en ordre, tout sera à nouveau en équilibre. Ce sera la fin de l’encre. Le chagrin ne sera plus qu’une vieille histoire et tout recommencera. Tout recommencera accroché à ton sourire un peu las. Ce sera vraiment bien n’est-ce pas ?

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Me reviennent ces matins clairs sous la douceur de l’auvent. Cette lumière fraîche sur les dalles. Ta longue silhouette accrochant les rosiers. Combien faut-il de doigts pour que le sang ne s’écoule ? Combien de terre sur les cendres ? Combien de livres empilés sur le bureau ? Ton rêve brûle lentement au milieu de la nuit. Ce que j’écris s’efface dans tes cheveux blancs. Je regarde l’heure. C’est presque jamais la même. Il faut se rendormir. Il faut se rendre à l’évidence, rien ne demeure. Rien ne demeure qu’un ongle coupé au fond du lavabo. Et ce n’est déjà même plus le tien.

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J’apprivoise le silence. Je deviens très fort. Je ne mets plus de casque d’écoute. Plus de musique. Plus de prothèse auditive. Je suis plus fort que lui. C’est devenu mon ami le silence. Je n’ai plus peur de lui. Même le chant des oiseaux est inutile. J’écris dans de la ouate. Un monde immobile. Il faudrait que je remue mais je reste là sur ma chaise. Tout ce monde sans toi. Tout cet espace que tu n’occupes plus. Je suis face à la fenêtre et même dehors rien ne bouge. Je vis dans une photo sans toi. Le printemps pourtant aurait dû tout remettre en cause. Mais non. Ce n’est qu’une belle lumière qui ne concerne que le monde extérieur. Celui des hommes affairés dans l’étau de leur vie. Moi je ne fais rien. Rien que t’aimer dans le silence.

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Tout s’effiloche et rien ne sera plus comme avant. Les couleurs et les ombres, l’heure d’hiver, l’heure d’été. Tu auras bien rangé tes malles d’habits avant de partir. Tout était presque en ordre, sauf moi. Sauf ces mots qui se bousculent encore jour après jour dans ma tête et sur les pages de mes carnets. Ces mots qui veulent te retenir encore. Ces mots que tu accueillais avec bienveillance mais aussi un certain amusement. Tu ne quittais la vie réelle que par l’aiguille obstinée, seule et perdue au milieu du drap brodé, dans les recueillements de ton jardin secret. Tu étais la fraternelle de mes silences mais nous avalions le même l’azur. C’était une telle habitude, une telle évidence que de s’aimer. En vieillissant, nous avions fini par devenir le bleu du ciel. Le bleu total d’une même vie.

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Nous n’aurions pas dû dormir aussi longtemps. Nous avons perdu trop de temps à mal nous aimer. Nous avions encore tant de choses à nous dire, de voyages à faire, de rêves à réaliser. J’aurais tant voulu élargir les horizons, défroisser nos peines. Et tous ces envols restés au sol, ces rires jamais sortis de la gorge, ces caresses qu’on remettaient à plus tard. Nous aurions dû partir ensemble, maintenant c’est trop tard. Toute ta vie future n’en finit plus de couler de mes yeux. A la fin, tu oubliais les retenues de tes additions et tu ne t’en rendais même plus compte. Nous croyions encore avoir le temps et c’est le temps qui déjà nous possédait.

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Aujourd’hui, je n’ai parlé à personne de toute la journée. Il n’y a que Pénélope et Félicette qui viennent me voir et qui miaulent de temps en temps. Je me rends compte à quel point tu habitais la maison. Tu étais partout. Nous pouvions rester des mois sans voir personne. Cela n’était pas nécessaire. Notre amour nous suffisait. On n’avait besoin que de se rassurer de temps en temps. Tu venais t’appuyer sur mon épaule dans le bureau. Je venais dans le tien et nous pouvions discuter pendant des heures de choses légères ou profondes. Ce soir je regarde tous ces objets qui sont à toi et qui ne servent plus à rien sinon à me plonger dans une tristesse insondable. Je suis incapable de m’en séparer. Je les chéris comme une part de toi. La part matérielle de mon amour. C’est ridicule mais j’en suis à retarder la fin de la boîte de mouchoirs parce que c’était la tienne.

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Depuis que tu es morte, je vis sous la pluie, une pluie fine, humide, une pluie qui me colle à la peau. J’ai beau me laver plusieurs fois par jour, j’ai cette odeur de chagrin et de larmes sur moi. Une sorte d’onguent glacial indélébile. Je blanchis du dedans. J’avance difficilement dans un présent compact. Ma mémoire est si lente qu’elle rouille sur moi. Alors j’essaie de dormir. Tout est dans le rythme de la respiration, la migraine de la nuque, le sang dans la tête. Tu n’en finis pas d’être absente. Je me garde bien de réveiller tes oiseaux endormis près de moi. Le seul bruit que j’entends c’est le tremblement de la lune que tu habites et qui se déplace dans la chambre. Tout cela est tellement triste que je me demande pourquoi je m’obstine encore à l’écrire.

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À quoi sert la poésie si elle ne peut te faire revenir ? À quoi sert d’écrire et d’écrire encore, ressasser ce que nous fûmes, ton corps sous tes vêtements, tes sourires sous tes larmes, tes mots jamais prononcés et tes silences comme des baisers ? Mes souvenirs de toi sont comme le jour sans fin. À quoi sert cette mémoire qui te contient sans jamais en sortir ? Comme l’encre sur mon carnet, la nuit continue ses traînées d’obscurité dans le couloir. De jour en jour, je suis plus vieux mais toi tu as cessé de l’être. Tu n’aurais jamais supporté ces toiles d’araignée sur le plafond de la cuisine. Vois comme le temps m’éloigne de toi. Il n’y a pas de jour sans soleil. Y a-t-il une vie sans toi ?

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Rien ne bouge dans la maison. On dirait Pompéï. Seul, un goutte à goutte de larmes tombe du robinet. Félicette les récupère comme si elle ne voulait pas qu’elles existent. Dehors, il fait soleil mais cela n’a plus d’importance. La jeune voisine est passée. Elle cherchait son petit chat qui est tombé du balcon. Je l’ai cherché dans le jardin et j’en ai profité pour redresser le rosier que le vent avait affalé. Sinon, je m’immerge dans des lectures. Je fais des lessives. Je mange n’importe quoi à n’importe quelle heure. Même le courrier est triste. La poubelle est pleine de morts. De la mort en plastique. Je suis tombé par hasard sur son harmonica. Je sentais son haleine. Je n’ai pas osé en jouer de peur de déséquilibrer le silence. Ainsi vieillit la vie terrestre.

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De nouvelles habitudes s’installent dans la maison mais tout s’est arrêté sur l’étagère. Qui remplira désormais tes bouteilles de sables ? J’essaie toujours d’être à la hauteur mais je ne suis plus bien sûr que tu me reconnaisses. Ce que je suis désormais t’est étranger. Même les mots me séparent de toi, ces mots que tu ne liras plus jamais, ces mots qui tombent dans un fleuve qui ne te connait plus. Où nage donc ton corps et où est-il mouillé ? Au fond, je ne t’ai pas vu te consumer. Je t’ai abandonné à quelques officiants et leurs flammes. Qui donc t’a fait brûler sans ma dernière présence ? Oh mon amour, reviens me toucher. Sans toi, je suis toujours malade. Reviens avec ton parfum sur le cou. J’ai si froid ce soir en t’écrivant devant ma table.

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À l’approche de vos habits noirs, je me change, je me déguise pour faire toujours bonne figure.Tout ce que je ne dis pas s’en va dans la rigole mais j’arrive à rire encore. Celui qui ne sait pas ne peut pas se rendre compte. J’ai tout un assortiment de masques, de phrases toutes faites, d’étreintes polies, d’évitements de toutes sortes. Il faut me comprendre à la fin. C’est insupportable qu’elle revienne. Insupportable qu’elle ne soit pas là. Elle est partout absente. Alors je m’éloigne avant les larmes mais je n’arrive pas à l’endormir tout à fait. Elle me regarde. Me garde. Qui ça regarde ? Même dans mon sommeil elle a des yeux de vivante. Sa mort ne dort jamais. Ma porte s’ouvre et c’est elle qui la referme. Elle veille en moi. Je veille à cause d’elle. C’est un infini va-et-vient.

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Aujourd’hui, c’est Carnaval. La lumière est accablante sur le parc. En vieillissant j’apprends à vivre sans perspective au milieu de ces jeunes filles qui se préparent pour leurs numéros de voltige. Moi je fabrique des souvenirs pour celles qui resteront bientôt avec leur peine. Je suis déjà presque mort. Soudain je pleure dans un tremblement de ce présent qui n’arrive pas à t’absenter tout à fait. Comme ces jeunes débutantes, nous aurons voulu toujours bien faire nous aussi n’est-ce pas ? Nous aurons cherché une perfection qui n’existait nulle part. Nous n’aurons pas perdu notre temps. C’est le temps qui l’aura fait à notre place, me laissant seul sans toi au milieu du grand cirque.

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Tu aimais chercher les puces dans la fourrure des chats. Examiner les corps c’était en quelque sorte un peu ton métier. C’est comme cela qu’un jour tu me sauvas la vie. Tu détectas dans mon dos un mauvais grain de beauté qui s’avéra être un mélanome. Sans toi je serais mort avant toi. C’est toujours plus facile de partir le premier. Tout le monde meurt mais celui qui reste garde en plus de cela cette odeur de morgue qui lui colle à la peau, cette poisse de l’absence de l’autre. Je ne sais pas très bien comment on s’en relève. Je marche de moins en moins vite. J’entre dans les dernières fois. La vie devient exceptionnelle pour de nouvelles raisons. Je regarde ce soir le ciel qui tombe sur la ville. C’est peut-être pour la dernière fois. C’est de plus en plus la première.

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C’était un soir d’avril, un soir d’errance lasse. Tu fus entre toutes ma préférée. L’inespérée en haut de l’escalier. Ta longue silhouette entra dans ma chambre avec l’évidence de la pomme mûre qui tombe de l’arbre. Dans tes yeux s’ouvrait une porte verte sur la lune embrassée. Tout fut dit sans un mot. Autour de nous, personne n’y croyait. Nous sautions sans le savoir le même mur de solitude. Nous n’étions plus des enfants tristes. Comme il fut mystérieux ce long amour. Nous ne savions pas le prix du voyage mais pas un seul jour nous n’aurons douté de l’attelage. Qui peut le comprendre aujourd’hui ? Soudain nous n’avions plus soif de ce qui se buvait. Nous étions la soif elle-même.

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J’entends ta voix tout près. Je sais ce qu’elle va me dire. J’aimerais tellement me tromper. Qu’elle me surprenne. Qu’elle me projette ailleurs. Ce sont ces voyages-là qui me manquent. Cet inattendu. Il vient du parfum de toutes tes salives, de nos cantiques les plus profanes. Nous ne respirons plus ensemble mais je respire pour toi. Je marche pour toi. Je lis pour toi. Et pourtant c’est toi qui me surprends dans quelque échancrure du jour, là où je m’y attends le moins. Une larme s’arrête en silence sur ma tempe. Jamais plus je ne toucherai ton visage, tes mains. Jamais plus je n’accompagnerai ton aiguille sur ton drap de chanvre. Elle était tellement douce cette patience partagée. Je vais me taire pour que s’efface un peu plus ta voix.

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Ce qui me fait le plus de mal, c’est cette lumière incroyable sur le jardin. Cette lumière qu’elle aurait tellement aimée. Elle se serait assise sur la terrasse sans rien dire, longuement dans ce petit soleil. Je serais allé la rejoindre. On se serait assis l’un près de l’autre. On aurait parlé du sureau qu’il fallait élaguer, de nos amis voisins qui n’étaient pas encore rentrés. On se serait laisser surprendre par Félix, l’écureuil. Vivre ensemble était d’une telle évidence. On n’imaginait ni l’un ni l’autre qu’il puisse en être autrement. Ce matin la lumière est presque la même mais il manque tes yeux sur les rosiers. Et ça change vraiment tout. Ce n’est plus tout à fait le même jardin.

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Ce soir j’ai traversé la ville. Les gens aux terrasses riaient. Il faisait très doux. Comme autrefois un parfum de grillade transpirait de quelques petits restaurants. Je ne te connaissais pas encore. Aujourd’hui, je sais que tu as existé dans ces ruelles grouillantes. Tu es cette silhouette sous les lampadaires. Tu regardes les vitrines éteintes. Ton bras s’est glissé sous le mien. On marche lentement dans le rêve d’une vie que tu ne connaîtras pas. Tu disparais, je te fais réapparaître. Une femme se retourne mais ce n’est pas toi. La ville n’est presque plus la nôtre. Il faut se faire une raison. Notre belle vie ensemble n’est plus de ce monde. Je rentre à la maison dans le froissement du temps.

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Hier soir j’ai fait une tarte à la tomate. Une tarte comme tu les aimais. C’était la première fois depuis ta mort. Je l’ai mangée tout seul. Elle était un peu trop salée. J’étais assis près de toi du côté des vivants. Il y avait une couture entre nous. C’était d’une tristesse à mourir. C’était vraiment risible de pleurer pour une tarte. Je la mangeais comme une bête qui lèche sa plaie pour qu’elle cicatrise. Je crois que je suis en train de devenir une bête sauvage. Le téléphone sonne dans ma tête mais ce n’est pas moi qui réponds. C’est une voix étrangère. Une voix détachée de moi. Une voix qui vient d’un autre corps. Personne ne m’a demandé pourquoi je pleurais. Il n’y avait personne que moi. Moi qui me regardais pleurer devant ma tarte.

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Ce matin je me suis habillé de l’intérieur avec ton vieux sourire. Celui qui me reste de toi, si secret, si rare. Celui que j’emporte partout avec moi. Tu es là, si légère, dans ma forêt profonde, au milieu des abeilles, des scarabées. Tu prends dans tes mains une petite araignée avec tant de délicatesse. Tu ne veux pas briser ses pattes. Tu la protèges parce que toutes les vies doivent l’être. J’aurai aimé t’attendre encore pendant longtemps. Tu sais combien je suis patient. Nous descendons le chemin sans parole, quelques mots sans importance. Que me faudrait-il perdre pour ne plus avoir le mal de toi ? Sans toi, le jour et son soleil sont consternants. Des sangliers ravagent ma mémoire. Je reviens de tes hautes lumières. Il n’y a aucun ordre du monde. Seulement sur l’horizon un chevreuil qui nous regarde. Et il est trop tard pour la photo. Il n’y a plus assez de lumière.

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C’était sûrement aussi tes lèvres sur mon bras. C’était un peu mouillé. Cela ne pouvait pas être le chat, il dormait dans sa panière. C’était une lumière d’été sur la plage. Un matin très doux et salé. C’était ce grand chahut de bleu et de varech. L’éternité visible. Tu savais tellement ne rien dire. Tout était si calme ce matin-là. C’était toi dans la splendeur de juillet. Avec ta peau, avec tes seins, avec cette vie qui n’en finissait pas de nous envahir sans que l’on s’en rende compte. L’enfant magique jouait dans le sable. Il ne faudrait pas en finir de la remercier la vie. De remercier d’avoir été, de remercier ce que nous fûmes, de remercier ce qui demeure. Non, ne pas en finir de dire merci.

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Mon ordi s’est éteint tout seul cette nuit. Il était rempli de nuit morte. Il a mis longtemps à se rallumer. Peut-être était-il mort lui aussi ? En attendant, des mots s’affichaient en moi dans un grand désordre. J’ai dû m’assoupir un peu. C’est l’agression d’un immense cactus qui m’a réveillé. Je suis allé boire un grand verre d’eau à la cuisine. Il n’était que deux heures. Dehors la nuit était paisible. Je n’aurai pas dû me coucher aussi tôt. Par les persiennes du volet, j’entends courir des ombres vers une fête dans la rue. Je survis à l’abandon. Je résiste à l’agonie des pivoines. Je demeure sans visite. J’évite les miroirs. Je n’aime pas mon corps. La solitude est une matière trop dense. Elle est trop près. Je désoriente mon pied sur le plancher. Tout le monde me le dit. Je vais y arriver. Je vais y arriver. Ce n’est qu’une question de temps. Je n’ai pas sommeil mais il faut que je me recouche sinon la nuit sera insupportable. Je dois me rendormir. Je dois me rendormir.

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C’est un dimanche ensoleillé comme elle les aimait tant, comme nous les attendions à chaque printemps. Cet après-midi, je suis immobile. Figé dans l’épaisseur accablante du jour. Je ne sais pas comment je respire encore. Je dors tout le temps pour échapper à toute cette absence qui envahit et occupe toute la maison. Autour de moi rien n’arrive à se mettre en mouvement. Au fond de l’impasse, je le sais bien, il me faut me retourner et affronter ce monstre qui me poursuit. Ne pas avoir peur de lui. Il ne sert à rien de fuir. Il faut que tu te remettes au travail. Relances ces signes qui font si mal. Ne pas lâcher prise face au vide. Faire appel au principe du futur fleurissant. Elle n’aurait pas aimé que tu tombes de la Grande Muraille.

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Cette nuit j’ai tout essayé. Toutes mes stratégies d’évitement. Ecrire, lire, prendre un bain, regarder un film, voir un documentaire, écouter de la musique, des chansons, me plonger dans les albums de photos, manger. Manger n’importe quoi du moment que c’est sucré. Pleurer. Pleurer beaucoup, longuement. J’ai traversé le gras du supportable. J’étais contre l’os. Ce matin je suis devant un paysage dévasté. Les pertes sont de plus en plus nombreuses. Il faut le reconnaître, c’est de pire en pire. J’évolue dans un opaque de plus en plus dense. J’erre dans l’inconstructible. Je pourrais ne rien écrire de tout cela bien sûr. Ce ne sont pas des choses à partager. A quoi sert le poème s’il reste écrasé au fond de la piscine ? S’il ne contient pas la force de remonter à l’air libre, le désir de respirer à nouveau ? Ce n’est pas un poème. C’est juste un texte inutile, incomplet. Quand le poème n’est pas capable d’une telle prouesse, de remonter vers son lecteur, il doit se taire. Il ne sert à rien. Même pas à réparer celui qui l’écrit. Alors je vais replonger maintenant. Tenter à nouveau le saut de l’ange. Et je vais remonter à la surface, tu vas voir. Je te le promets, mon invisible.

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Notre amour fut un miracle. Une sorte d’aberration merveilleuse sur le littoral de nos solitudes. Personne n’aurait pu prédire une telle longévité. Pas même nous. Bien sûr nous imaginions parfois notre vie l’un sans l’autre. Cela fait partie de l’imaginaire amoureux. La séparation comme la mort. Aujourd’hui je le sais mon imaginaire se trompait sur toute la ligne. Sur l’intensité de la douleur comme sur la notion de durée. Il n’avait aucune idée de la patience qu’il me faut aujourd’hui pour que les jours et les nuits soient moins longs. Il se trompait sur les mesures de la plaie. Quand j’écrivais sur la mort c’était un fantasme, quelque chose d’approximatif. Aujourd’hui bien sûr cela l’est encore mais la mort est devenue une matière organique. Ton absence baigne dans ma chair. C’est plus fort que moi, je traque tes signes pour te retenir vivante. Chaque jour j’ai rendez-vous avec ce que nous fûmes. Je sais bien que cela ne pourra pas durer. Tu finiras bien par t’effacer mais je sais que tu ne disparaîtras jamais tout à fait.

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On n’est pas jeune longtemps. À la fin on le redevient . Mais c’est un peu tard. J’aurai aimé ton corps jusqu’au bout. C’était notre temps à nous. Je me souviens de notre dernière étreinte dans la cuisine. De ton abandon dans mes bras. Du mien aussi. Cela dura longtemps. Il y avait là quelque chose de bestial. Une tendresse rien qu’à nous. Rien de sexuel. Seulement une délivrance de toutes nos peurs. Je sentais ta chaleur contre la mienne. Nous n’avions soudain qu’un seul corps, une seule chair pour un seul amour. Une force siamoise. Nous ne nous sommes rien dit. A quoi bon, c’était d’une telle évidence. Notre vie pouvait reprendre. Nous pouvions reprendre notre marche dans le couloir. Avec tes pas difficiles. Nous étions invincibles.

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Pourquoi dormir au milieu du jour, fuir ton absence ? Je vis dans un précipice. J’entends des bruits de marteau. Ils ne me délivrent de rien. Je viens à ta rencontre. A chaque fois je te retrouve dans cette incise du temps. Tu ne seras jamais tout à fait mon accomplie. Sur l’étagère de la salle de bain, je brouille tes boucles, tes perles, tes colliers, pour retrouver la chaleur de tes mains. Tu seras toujours la récompense de ma vie. Ma rencontre infinie. Je suis en éclats. Je me remplis et je me vide. C’est ma vie désormais. Ma vie qui respire un air qui fut le tien. Un air qui traversa tes lèvres sur le lavabo. Il y a encore le souvenir de ton visage dans le miroir. Quelques traces de tes doigts peut-être. Il me reste tes yeux de vivante. Juste ce qu’il faut pour que ma vie soit tolérable.

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Jadis, je vivais dans un monde éternel. Mon amour pour toi était d’une paresse incroyable. J’avais le temps. Je ne remerciais personne. Je n’écoutais jamais le coq chanter. J’étais le coq. Je chantais près de toi, j’étais triste près de toi, je riais près toi. Les lunes et les soleils se succédaient. J’écrivais comme aujourd’hui, cherchant les désordres de ta belle nomenclature. J’écrivais avant toi, j’écrivais près de toi. Maintenant j’écris sans toi. Ou presque. Tu vois, je ne sais faire que ça. Je pleure rarement. Ce sont des larmes intérieures comme tes rires, tu te souviens ? Je cultive le présent dans la distraction des choses quotidiennes. Je claudique dans les allées du Jardin. Tout est là, un peu autrement. J’aurai toujours eu du mal avec la foi. Je n’ai jamais eu que celle en notre amour. Je sors de chez le boucher. Je n’ai rien pu acheter. La journée sera encore très longue.

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Je me suis endormi dans la baignoire. Je ne savais pas que tu vivais tes derniers instants dans la maison, tout près de moi. Que tu étais en train de quitter le monde, ta conscience et tout le reste. Je dormais et tu étais en train de mourir. Je te laissais te reposer avant le diner et tu étais en train de mourir. J’étais vivant dans la douceur de l’eau du bain et tu étais en train de mourir au fond de ton lit. Seule. Avec tes mots mélangés, ton bras qui n’arrivait plus à bouger, ton corps qui s’affaissait sans pouvoir se lever. Peut-être un appel sans réponse ? Un appel que tu m’adressais à moi qui somnolais dans la baignoire ? On ne refait pas le film, on ne refait pas la vie, on ne refait pas la mort. Quand elle arrive la mort n’a jamais le visage qu’on avait imaginé. C’est une porte qui tombe du ciel. On ne saura jamais sur quoi elle s’ouvre. Toi, tu le sais désormais. Tu es derrière cette porte qui s’entrouvrait pendant que je m’étais endormi dans la baignoire. Tu n’existes plus que dans le rêve éveillé de ceux qui t’ont connue.

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Comme elle est petite ma vie désormais. Comme elle est courte. Tout s’en va vers sa fin puisqu’elle ne te contient plus. Tous nos projets arrêtés, tout ce qui ne sera pas terminé, tout cet amour seront restés en suspens, comme ce linge sur le fil. Tu es toujours dans ce tiroir resté entr’ouvert, cette boîte que tu n’as pas refermée. Bien sûr ce soir je relis tous les signes de tes derniers jours, à l’éclairage de ta mort que je n’avais pas imaginée, cette mort brutale, inacceptable. Que cherchais-tu alors ? Que cherchais-tu à me dire avec toutes ces fleurs séchées que tu accrochais avec élégance au-dessus du vieil évier, n’importe où sur les murs et les portes, dans des vases et des aquariums, oubliées dans tes livres et tes cahiers ? Voulais-tu me faire comprendre qu’un jour tu ne serais plus là et qu’une nouvelle beauté naîtrait de leur abandon ? Qu’il me faudrait les accueillir comme un peu de temps coupé par tes mains ? On ne change pas la trajectoire d’une sève. Elle cesse un jour son ascension jusqu’à la fleur. Mais il faut se rendre à l’évidence : elle continuera son travail jusqu’à sa dernière décomposition, jusqu’à ce qu’elle devienne poussière. Et il faudra bien l’accepter.

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Pour midi, j’ai préparé du boudin aux pommes. Tu adorais ça. J’ai mis la table sur la terrasse en plein soleil. Je n’ai mis qu’un seul couvert. Comment faire pour que cela ne soit pas aussi triste ? Faut-il que j’imagine ta présence ? Que j’accepte ton absence ? J’ai l’impression que ce sera toujours un peu la même chose. Une absence présente, une présence absente. Une pièce qui roule sur le sol sans jamais choisir entre pile et face. Les oiseaux sont là, au rendez-vous des arbres. Une légère brise remue tes rosiers. Au loin, la sirène d’une ambulance. Ne l’écoute pas. Elle ne sonne plus pour toi. Tu es dans ma prairie sereine. Avec ton sourire qui se dessine devant moi. Tu es dans cette aquarelle au-dessous du bleu, entre les sureaux. Tu vas adorer mon boudin aux pommes.

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Il faudrait que la mort soit dérisoire. Que ce ne soit que cette vie qui continue de se promener en nous comme le loir sous la charpente. Un esprit mortel et calme dans le torrent tumultueux de tous les jours. Je t’ai vue, tu te levais sur la frêle embarcation. Tu n’avais plus peur de tomber. Le soleil au loin se teintait de sang. Cela n’avait plus aucune importance. Nous ne cherchions plus de réponse. Les sommets des hautes montagnes s’éloignaient de nous dans le ciel. Nous sommes désormais ces deux voyageurs de l’instant sans mort. Vois-tu, je fais tout comme avant. Je me lave, je mange, je dors. Je suis ce petit vieux que tu as laissé sur la route mais je ne pleure pas. Je me tiens droit dans l’attente céleste. Tu n’as plus peur des serpents et c’est cela qui compte. Il ne me faut pas imaginer le monde sans toi mais nous deux ensemble dans ce vaste univers qui contient ta douce mort. Ta belle mort qui sourit dans l’érable.

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Tu es là sans y être. Ta présence plane partout. C’est fou ce que tu as laissé de traces ici. Par ennui j’ai ouvert un livre de contes chinois sur tes étagères. Nous y traversions un pays plat comme la main. Il y avait le chagrin de ta mère. Tu murmurais sa plainte. Personne ne t’écoutait sinon moi dans un silence à venir. Tu la rejoignais dans le miroir de la salle de bain et nous dansions tous les deux sur une roue lumineuse. Tu étais cette belle jeune fille devant le mur de ta maison d’adolescente. Un oiseau sans aile. Silencieuse et bouleversée comme le jour où je t’ai connue. Je venais te chercher à minuit quand le bal était fini. Nous vivions si loin de leurs fêtes, ma belle demoiselle aux doigts agiles. Je t’accrochais à mon bras et le temps se refermait tendrement sur nous. Sur toute cette vie fragile et tellement merveilleuse. Nous fûmes les habitants heureux d’un pays qui s’éloigne. Notre source fut si transparente. Elle ne cesse de couler encore en moi, à jamais perdue au creux de notre falaise de craie.

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L’Administration. L’eau, l’électricité, le gaz, l’assurance, la banque, la mutuelle, le contrat de la chaudière, les abonnements, les retards, les mises en demeure, le forfait du téléphone, le renouvellement du parking, la recharge des cartes, leur réactualisation, les duplicatas, les certificats, les photocopies certifiées conforme, les numéros qui ne sont plus les bons, les attentes téléphoniques interminables avec leurs musiquettes insupportables, les répondeurs, les numéros masqués, les importuns qui vendent, le renvoi de la patate chaude à un autre service, les dossiers qui s’égarent, les questionnaires de satisfaction, et toi. Toi dans la lumière de ton visage sur la photo. Ta vie de papier, ta vie numérique, ta vie dématérialisée qui continue. Ta vie qui s’efface jour après jour sans état d’âme dans les arcanes de l’Administration. Toi au milieu de tout ça qui n’est plus là pour te mettre en colère avec moi. Toi qui n’es plus là. Qui n’es plus là parce que tu es morte.

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Non je ne veux pas que ton livre s’arrête. Son arrêt serait ta seconde mort. Je veux que tu habites encore mes mots pour te célébrer encore. Par trois fois que la colombe revienne comme après le Déluge. Je n’en finirai pas de te dessiner dans l’eau pure avec tes yeux qui me regardent. Pourquoi ne t’ai-je pas dit plus souvent la grâce de ton corps, le chant des cordes sur tes hanches, ce vertige et cet élan dans les dorsales du désir ? Je chante au pied de ta plus haute tour, celle d’où tu ne redescendras pas. Il fut si beau notre attelage. Nous habitions le vent, un entassement d’abîmes merveilleux, de clefs ouvertes, de livres à lire. Non je ne veux pas que celui-là s’arrête. Je veux encore apprendre ton verbe à l’encre de tes silences.

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Il me faut passer à autre chose maintenant. Me décoller de toi. Mais comment vivre avec ton bras resté sur le mien, ton bras de toutes les joies, de toutes les peines ? Ton bras tendu vers moi, vers notre avenir arrêté, vers le sourire de nos promenades ? Nous ne traverserons plus ensemble ces terres de petites routes, ces villages paisibles et déserts. Te souviens-tu du pigeonnier solitaire au-dessus de cette colline ? A chaque fois je te disais qu’il faudrait le photographier. « Arrêtons-nous, nous allons le faire. Sinon on ne le fera jamais » me disais-tu. Faire les choses. Ne pas remettre à demain. Faire ce que l’on a à faire pour ne pas regretter de ne l’avoir pas fait. Tu étais ainsi. Je rêvais le monde. Tu le massais pour le guérir de ses nécroses.

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Tu auras glissé sur l’onde noire d’une barque, dans une lente traversée vers l’autre rivage. Je ne peux démarrer l’image de ce dernier voyage, ni de ce drap blanc qui sèche à jamais dans ma tête. Tu occupes désormais tout mon ciel, tout ce tonnerre qui ébranle encore en moi cette nuit blanche de janvier. Quelqu’un n’eut pas à refermer tes yeux mais ta bouche béante. L’aube en sortait pour toujours. Elle n’en finissait pas de sortir cette aube de ton corps, ce sang de ton cerveau profond où personne n’accède. Mais jusqu’à quand la lancinante visite de nos dernières fois ? Jusqu’à quand ton visage apaisé, ce temps interminable qui attend ton dernier souffle ?

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Tu n’entendras plus la chouette dans les combles. N’attendras plus l’écureuil à la fenêtre, ni le chevreuil dans la haie. Tu ne seras plus là dans l’enclos pour nourrir les tortues. Tu ne seras plus dans cette grande salle où tu aimais tant écrire, broder, rêver. Tu ne seras plus près de moi sur le chemin quand nous marchions avant le crépuscule jusqu’à la boîte aux lettres. Tu ne seras plus dans le souffle du soir pour ce silence partagé qui n’avait besoin d’aucun mot, d’aucun geste, seulement de notre présence acceptée sur la nuit douce qui se refermait sur le volet qui grince. Ni les marches de l’escalier qui craquent, ni dehors le goutte à goutte dans la bassine après l’averse. Non, tu ne m’entendras plus prononcer ton prénom ni moi le tien dans cette vieille maison que tu aimais tant. La mort aura effacé tout ce visible, cet audible qui était alors sans importance et qui prend ce soir la dimension du fini. Du fini de mon amour désormais sans l’inouï de ce que tu fus.

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Je suis seul sous la lampe ce soir. Devant l’écran blanc. Il y a le curseur qui clignote. J’attends que les mots se manifestent encore. Que je t’écrives de là où je suis. Cela ne vient pas tout de suite. Je me dis que t’écrire, écrire sur toi, sur ta mort, est un exutoire, une catharsis. Une exhibition de notre vie pour conjurer toute ma souffrance. C’est un choix réfléchi. D’ailleurs n’ai-je jamais cessé depuis toujours de sublimer l’indicible, de nommer ce que je vivais dans cette quête d’un intime universel si cher à Victor Hugo ? Mais je n’ai pas à me justifier. Écrire sur toi est pour moi une sorte d’engagement. Un pacte signé face à ta mort insupportable. Et ta mort est aussi la mort de toutes les femmes qui sont mortes, de toutes les séparations, de tous les abandons. Par mes mots, tu appartiens désormais au partage de la douleur avec tous ceux qui t’ont aimée. De tous ceux qui t’aiment encore. De tous ceux qui pleurent leurs morts sans jamais l’écrire.

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Je n’entre plus dans mon bureau. Je n’arrive plus à y écrire. Je me suis installé à côté de ta photo, face à la fenêtre du jardin. Nous voulions la brûler avec ton corps mais nous n’en avons pas eu le courage. Tu es donc toujours là, souriant devant des azulejos de Séville. Le soir, je te lis mes textes à voix haute pour conjurer tout ce silence dans la maison. Tu ne cesses de me sourire. Non je n’entre plus là où j’écrivais quand tu étais encore là. J’ai trop l’impression que tu vas me rejoindre pour lire sur mon épaule. Je crois encore entendre ta voix qui m’appelle à l’autre bout du couloir mais ce n’est qu’un mirage. Une illusion de l’absence. Mes oiseaux se cognent à cette vitre où personne n’apparaît.

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Un désert se dessine autour de moi. Un désert de poussières. Sur l’horizon s’effacent tes vieilles images, toi, cette offrande à l’oubli. Tu as atteint le dernier ponton. Les mots ne sont plus que les miens. Est-ce toi qui, avant de partir, a libéré tout ce temps qui passe ? Cette nuit, je me replie dans mon lit en attendant le jour, l’intelligible de ton rêve. Je me souviens de tes derniers muscles si faibles. Quelque chose se finissait en toi mais je ne voulais pas le voir. Je me croyais plus fort que l’inéluctable. Je t’entraînais vers une lumière qui déjà s’éteignait. Peut-être n’ai-je pas su te voir comme tu étais déjà ? Peut-être étions-nous trop ensemble pour accepter cette séparation ? Il faut cesser de traduire maintenant. Il faut lire désormais dans le texte et je dois faire usage de tes plus beaux silences.

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Paul Eluard écrivait : « Il n’y a qu’une vie c’est donc qu’elle est parfaite. » La tienne est close désormais. Elle est donc ainsi. Parfaite. Elle est tout près de moi. Mais comme elle est douce son image. C’est vrai, nous aurons passé beaucoup de temps à nous chamailler pour des riens. Beaucoup trop prononcé de mots blessants pour pas grand chose. Cela devait faire partie du contenu de notre boîte à outils pour que la mécanique de notre amour dure aussi longtemps. Nous n’en aurons pas trop usé. Nous avions au fond de nous ce noyau indestructible, ce mystère désarmant de ne pas pouvoir vivre l’un sans l’autre. Ce noyau-là, je le garde aujourd’hui en moi comme un caillou merveilleux au fond de ma poche. Lorsque la vie perd tout son sens, que le vide me gagne, ce caillou, je le caresse en secret. Il est notre vie dans le courant. Il roule et danse joyeusement dans l’onde. Non, nous n’aurons pas quitté ce même lit de notre fleuve qui nous contient encore.

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Personne ne peut me donner ce que je voudrais. La chaleur de ta chair contre la mienne. Tes mots choisis dans ta bouche. Ta musique de tous les jours. Même notre vieux transistor ne dit plus la même chose. Nous répétions des gestes que j’accomplis désormais sans toi. Aujourd’hui je répète seul. Tu n’auras donc jamais vu mon dernier récital. Je ne saurai jamais ce que tu en penses. Je n’aurai jamais sur lui ces quelques mots si justes qui tombaient comme des couperets ou des diamants sur mes doutes. Je ne saurai jamais plus rien de cet inattendu au milieu du brouhaha de ceux qui savent.

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Parfois une anomalie de ton ancienne présence me traverse jusqu’aux larmes. Je n’y peux rien. C’est plus fort que l’oubli. C’est comme un coup de couteau qui ne se serait jamais éloigné de mon cœur. Non rien n’a vraiment changé de place ce matin. Tout est comme tu l’as laissé ou à peu près. Ta Chine éternelle est au même endroit sur tes étagères. Tes aiguilles bien classées. Elles demeurent dans le raffinement de tes tiroirs parmi ces objets inutiles que tu conservais amoureusement. Mais leurs couleurs bientôt passeront elles aussi puisque c’est dans l’ordre des choses. On ne retient pas le temps ni les parfums. C’est inévitable. Tout se délite lentement autour de moi. Tout ce que je touche après toi. J’ai beau retarder ta disparition définitive, feuilleter ces photos que nous aurons tellement tardé à regarder ensemble, je sens bien que tu t’éloignes. Tu t’éloignes de moi et je ne peux pas te retenir.

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Tu auras eu l’élégance de mourir les yeux fermés. Je n’aurais pas supporté d’avoir à le faire. C’était une façon de bien terminer le chemin. De me dire qu’il faut accepter ce qui est fini. Que ce n’est pas la douleur ni la peur qui gouverne. Qu’on est fort de tous nos murs tombés. Tu appartiens désormais à la jeunesse des hommes. À leurs messages et leurs mystères. Nous n’aurons pas gagné grand chose dans notre vie. Étrangers dans la marge, nous aurons su vivre simplement au milieu des contraintes. Tu n’aimais pas ceux qui faisaient du bruit sans respecter le silence. Tu ne courais presque jamais. Tu t’appuyais au jour pour comprendre la nuit. Tu ne t’excusais jamais. Tu marchais devant et tu n’aimais pas te retourner. Moi je n’aurai jamais quitté notre territoire et ceux qui l’occupent. Tu es aujourd’hui notre ensevelie commune. Notre plus bel héritage.

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L’histoire d’une vie, c’est aussi l’histoire de tous ses morts. De tous ceux qui traversent le théâtre de sa mémoire. Sous l’émouvant bruissement des ramures, j’ai retrouvé une trace de tes pas dans le jardin. Je l’ai effacée d’un geste lent parce que tu seras toujours dans cette métamorphose de la terre. Dans tous ces mouvements de l’univers que l’on ne choisit pas. Cette force dansante du vivant qui se souvient encore de toi. Cette année, tu n’accueilleras pas le printemps. Je le ferai pour toi. Tu seras tout près de moi. Personne ne te verra mais tu seras là, étreinte dans la chaleur de mes viscères, comme aux premiers et derniers jours de notre rencontre. Non, tu ne m’as jamais quitté. Et ce n’est pas la disparition futile de ton corps qui changera quelque chose à l’histoire de notre amour.

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Ce matin j’ai reçu par la poste la copie intégrale de ton acte de naissance. Il y a désormais cette phrase terrible que le fonctionnaire a ajoutée. « Décédée à Toulouse (Haute-Garonne) le 21 janvier 2024. » Alors ça y est. C’est officiel. Maintenant tu es morte aussi pour l’Administration. Tu es définitivement dans le grand classement. Archivée. Tu as rejoint une chemise sur une étagère. Tu vas y rester je ne sais combien de temps parmi les autres documents originaux. Parfois le grand silence des rayonnages sera dérangé par quelqu’un qui consultera quelque dossier à côté du tien. Et puis le fonctionnaire éteindra la lumière et tout retombera dans l’ombre immobile. Tu resteras seule au milieu d’un ordre alphabétique. Et puis un jour peut-être, dans quelques siècles, quelqu’un qui s’intéressera à la généalogie à laquelle tu appartiens retrouvera cette copie intégrale. Tu seras à nouveau au soleil au milieu des nouveaux vivants qui apprendront que tu as existé un jour.

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Ne laissez pas de message. Elle ne les entend plus. Ils se perdent entre vous et le vide, loin du vaste édifice du monde qu’elle habita. Je le traverse encore avec vous parfois sans en connaître les limites. J’atteins quelquefois sa toile de fond. Vous le savez, elle l’a déchirée pour ne jamais revenir. Je ne suis pas arrivé à la suivre par l’accroc qu’elle a laissé. Je n’arrive pas non plus à la recoudre. Je suis au bout du monde avec elle qui n’est plus là. Il va me falloir du temps pour me retourner et vous rejoindre. Rejoindre l’illusion de notre vie infinie dans laquelle elle ne danse plus pour de vrai. Non. Ne laissez plus de message. Elle n’est plus là pour les entendre.

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Le matin, j’ouvre des volets et le soir je les referme dans des pièces où je n’ai pas mis les pieds de toute la journée. C’est un rituel, une mécanique un peu absurde qui maintient ta vie qui n’est plus là. Une vie d’avant. Je continue de promener partout ton absence. Elle s’accroche à mon bras. Quelquefois c’est mieux mais au fond c’est toujours moins bien sans toi. Mes points de vue sont désormais aveugles de toi. Je me résigne à ton passé mimétique, à la pression de tes paroles qui n’existent plus. Je suis juste après la tragédie. Je sors du théâtre. La pièce était tellement belle. Tellement belle.

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Cette nuit j’ai dû crier. Il ne faisait pas tout à fait jour. J’ai entendu du bruit sur la terrasse. Le vent me parlait à voix basse. Il murmurait ton nom. Tout cela était un peu ridicule. Le souffle dans les arbres semblait éloigner une mauvaise marche funèbre. J’avais froid, je suis rentré pour rejoindre mon rêve verbal. Seul et frissonnant, j’ai essayé de me rendormir sous la couette avant que l’insomnie ne s’installe jusqu’à l’aube. À la fin, le rossignol a refusé de chanter seul. Il ne trouvait nulle raison à ton silence. Je l’ai vu simplement s’envoler au moment où tes yeux se refermaient pour la dernière fois.

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Écrire, c’est risquer de devenir fou.

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C’est donc cela la vie ? Cette chose qui s’arrête sans raison et sans bruit ? Cette chose qui abandonne face aux flux tendus et aux efforts de mémoire ? C’est donc cela cette tragédie ridicule en un acte ? Un souffle unique fait d’à-coups, d’apnées, de résurgences ? Ton corps est là, toujours, au centre de moi, partout, belle à jamais silencieuse. Ton mystère est intact. Notre lien désormais total. Tu demeures ma perçante conscience, nageant dans l’infra-basse d’une mer intérieure. Tu m’auras donc offert tout ton sang pour que je te survive. Ta mort pendant la nuit et le jour ton souvenir de lumière.

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Que pouvais-je attendre cette nuit-là de cette peau
Dans la forge inéluctable, moi, berger sans troupeau ?
Je ne savais chanter ni le laurier ni le lierre
Vivant déjà dans le démembrement d’un tout visible,
Souvenir mineur de l’échec du père et de sa guerre,
Texte réfléchi à la percussion des tambours, cible.

J’étais nouvelle allure du temps qui ne s’interrompt,
Ce glacier inhabité où jamais rien ne répond.
Et des célestes règles, leur silence à jamais lourd,
Je regardais s’écrire ton corps dans l’intense nuit,
L’heure accrochée à ce mur si lent, ce compte à rebours,
Musique des lignes sans dent, le chat au fond du puits.

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Il faut élargir l’horizon. Le chant de vision. Détacher les amarres vers de nouvelles trajectoires. S’éloigner autrement du rivage. S’envoler dans les rires légers de la mémoire. Rien n’arrête un cœur qui cherche obstinément d’autres archipels, une nouvelle paix. Car nul ne peut partir tout à fait. Nous ne sommes jamais qu’une suite d’accomplissements, une lumière dans le couloir qui cherche le prochain printemps. Je te promets de chanter à nouveau, de traquer encore et partout les beautés du monde. Parce que nous sommes faits d’oublis et de renaissances. Je regarde maintenant les oiseaux qui s’additionnent sans se recompter dans l’arbousier. Ces oiseaux sont tes oiseaux. Nos oiseaux à jamais. Une image se recompose. L’image grouillante et joyeuse de notre amour désormais invincible et en mouvement. Une infinie foison éclaire ce que tu m’as laissé pour le temps qui me reste de vivre. Ce matin, je songe à cette phrase sublime des « Misérables » de Victor Hugo : « Même la nuit la plus sombre prendra fin et le soleil se lèvera. »

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Où es-tu ce soir, je ne t’entends pas. Ta présence est froide sous la lampe. J’ai de la terre dans la bouche. Je vais monter le chauffage. Tu hantes ces mots qui ne sortent pas. Je me souviens avec horreur du dernier dérèglement de ton algèbre, de tes yeux morts sous les paupières, de tes lèvres qui ne savaient plus rien dire, de tes doigts dans ma main impuissante. Il me faut les effacer ces images terribles, ce silence tremblé sur ton front en sueur. Pourquoi était-ce déjà l’heure ? Pourquoi cet effondrement dans la chambre, ma gorge sèche, cette interminable fin ? Je cherche en moi un chant mais il n’a aucun élan. C’est tellement banal quelqu’un qui meurt au milieu de la nuit. L’infirmier s’est retiré. Il attend l’heure dans le couloir. C’est bientôt le jour et tu ne le verras pas. Tu ne me sentiras pas non plus t’embrasser une dernière fois si longuement, si longuement. D’ailleurs, tu ne m’entends déjà plus.

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Ce matin, j’ai eu le sentiment que je me réveillais quelqu’un d’autre. Un autre qui cependant ne reniait nullement celui qu’il avait été ni tout ce qu’il avait vécu, bien au contraire, mais qui ne pouvait plus être le même car il y avait désormais quelque chose de clos au fond de moi. Comme si une porte s’ouvrait devant moi, alors qu’elle n’avait jamais été vraiment fermée. Et cela ne me faisait pas peur parce que c’était ma façon de lui dire que je l’aime sans sa présence. Seulement avec la mienne désormais. Devenir ce que l’on est, c’est continuer d’être ce que l’on fut avec la force de ce que la vie nous fait subir malgré nous.

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Je n’entends plus nos voix dans la maison. Je n’arrive pas à m’accommoder de ce définitif. Je t’aime contre ton absence. Je déambule dans une mécanique des gestes. De ce qu’il y a à faire, la toilette, la lessive, le repas, le ménage. Ces fameux principes du quotidien. La mesure des sabliers tombe sur le théâtre du jardin sans toi. Ces moments-là m’écrasent au sol. Je cherche en vain une nouvelle harmonie, une nouvelle synchronie de nos présences dispersées. Mais rien n’est possible sans la tienne désormais. Il me faut me résoudre à cette rupture que tu n’as pas voulue, à cet aveuglement de la souffrance. Je dois me contenter de toi, ma si proche étrangère faite de tout ce que tu respires encore ici, tout cet air encore envahi de toi. Rien ne se dissipe sur les brumes de tes ruines immenses. Je dois me retenir, me retenir. Passer à autre chose. Mais comment ? Tu n’es plus là pour me le dire.

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J’avais oublié combien la somme de ce que nous fûmes contenait de toi autant de jeunesse. En vieillissant on reste bloqué sur nos dernières images, nos derniers instants. Seule la mort redistribue les cartes sous les soleils de toute la trajectoire. Tu es si belle désormais devant le vieillard que je m’obstine encore aujourd’hui à ne pas devenir. Je ne peux pas me regarder comme je te regarde dans cette fusion du temps qui te rend si évidente, si lumineuse. En regardant tes vieilles photomatons, j’attends moi aussi ma totalité. J’attends de rejoindre l’unité du monde dans cette complétude enfin renouée. A l’exactitude du détail répond dans la mort le triomphe du tout.

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Qui étions-nous sur l’échelle des autres ? Pas grand chose que ces deux ombres se promenant sur les allées du Jardin des Plantes. Nous ne cherchions rien d’autre que quelque beauté fugitive dans les arbres. Parfois, nous examinions la démarche particulière d’une belle passante. Je lui parlais de la beauté de ses jambes. « Elle a un rétrécissement du canal lombaire » me disait-elle, définitive, très professionnelle et cependant un brin jalouse. Cela me faisait rire. Cela n’altérait en rien le charme qui opérait en moi, elle le savait. Elle savait aussi avoir l’élégance de ce qu’elle taisait. Nous aimions toutes ces différences qui font que la vie est si complexe, les corps si singuliers.

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Je te vois ce soir sur le pas de la porte. Fragile, émouvante. Ton livre ne saurait se refermer. Ton visage m’accompagne entre les filtres, prélude à ta tragédie rouge. Et moi, qui suis-je pour te regarder encore, alourdi par le quai, désemparé par ta chute ? Tu rayonnes à jamais au milieu du silence, ce silence inconnu de moi. Plus rien ne danse sur l’ourlet. Demeure seulement le parfum d’une orange sanguine sur tes doigts. Depuis plus d’un mois maintenant tu appartiens aux brûlures de ma chair, à l’orgasme de mes rêves, à l’articulation de toutes tes ombres. De ton oiseau écrasé au sol, je suis l’envahi définitif. Le sans miracle de ta résurrection.

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Le soir, quand le silence retombe dans la maison, un nœud se forme en moi. C’est un caillot de sang obstruant ton image obsédante. Une douleur terrible qui devient lentement familière par la force du temps. Ma tête se pose entre les mâchoires d’un étau. Mais le corps se fatigue à user ta déjà vieille mémoire. Une à une, dans la lumière aveuglante d’un jour réinventé, j’essaie de reconstruire les pièces d’un puzzle oublié quelque part sur le bord d’un chemin. Je me souviens de ce matin-là au milieu des gentianes. C’était un matin comme un autre. Je ne savais pas alors à quel point il était exceptionnel. J’avais même oublié je crois combien tu étais belle.

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Un tas de cendres. Sans forme. Ne serais-tu que cela désormais ? Ce qui est sûr, c’est que tu n’as plus froid. Ni aux pieds, ni aux mains. Tu es là, blottie dans la terre. Notre terre. Le sens-tu, la belle saison arrive sur nous. Les hautes herbes que tu frôlais, les lys en fleurs et les iris. Tout cet arrangement minutieux des pots, tous les rosiers que tu nettoyais. Tu avais peur sur l’échelle. Il fallait que je te tienne. Peur de tomber déjà. Tu dessinais si bien le désordre des jardins. Et ce jasmin qui n’en finit pas de tout envahir à sa façon. Un tas de cendre, sans forme. Ne serais-tu que cela désormais ? Cette présence accrochée à ce qui me reste de toi ? Tant que je serai là, tu ne pourras jamais ne pas exister. A chaque minute, je t’attends et tu viens simplement sur le chemin. Entre les blés et les tournesols. Tu marches près de moi. Tu es cela désormais. Cette force près de moi qui ne fléchit jamais.

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Si peu se seront vraiment rendu compte à quel point tu étais belle. Te l’aurai-je avoué suffisamment ? Ton père disait toujours que tu étais photogénique. Ce n’était pas très gentil. J’ai toujours trouvé cela blessant de dire une chose pareille. Dire cela c’est sous-entendre qu’on est moins beau dans la vie réelle. Tu n’auras jamais souffert d’un trop plein de flatterie de la part de tes parents. Moi je t’aurai regardé jusqu’au bout avec les yeux de l’amour. Les yeux de l’en-dedans. Les yeux qui n’auront jamais douté de toi. Tu te trouvais si fragile et tu étais pourtant si forte. Tu fus ce chemin que tu m’invitas à suivre. On y fut si peu nombreux. Nous aurons embrassé notre vie et je ne savais pas à quel point elle avait le goût de tes lèvres.

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Tu n’aimais pas te montrer. Tu préférais la musique sans mot. Ce que tu aimais était toujours énigmatique. Je n’ai jamais vraiment compris par exemple pourquoi tu aimais tellement les pivoines. Tu cherchais le silence au royaume des oiseaux. Un paradoxe. Tu traversais le soir dans les premières ombres. Aujourd’hui je vis le crépuscule comme un effondrement de ton absence. C’est le plus mauvais moment de la journée à passer. Sans doute parce que c’est la fin de quelque chose que je me refuse à admettre et le début d’une vie sans toi que je ne peux pas envisager. J’essaie de m’endormir pour refroidir la plaie. Je ne supporte plus que la douceur de ton visage sur les photos.

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Je te revois sur le chemin du port, à Fira, sur l’île de Santorin. « J’ai l’impression de traverser une carte postale » disais-tu. T’en souviens-tu, nous voulions libérer les ânes porteurs, ces ânes mal traités à flanc de montagne. Notre amour était comme les cordes d’un violon qui ne supporterait pas d’être un peu faux. Il nous fallait le réaccorder à chaque seconde. Avec les ans, on s’était habitué à toute cette intensité. Elle demeura intacte jusqu’au bout. Elle était un peu fatigante pour les autres. On ne se laissait rien passer. Quand quelqu’un nous disait : « Je n’aime ni les fleurs ni les animaux », on se regardait. On savait qu’il venait de signer son arrêt de mort.

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Et cette pluie qui n’en finit pas. Ces larmes du monde sur le jardin.Ton monument dans ma tête. Non je n’aurai jamais pu vivre tout cela tout seul. Il y a quelque chose qui s’est arraché de mes viscères cette nuit-là. Je voyais distinctement ta peau se détacher définitivement de tes os. C’était ça la mort. La mort en direct, la mort infligée comme une gifle injuste. Entends-tu mes appels, son poison sucré dans ma bouche ? Où sont les loups merveilleux de tes mots, leur présence transpirée dans la maison ? Je te vois ce matin dans l’éparpillement de ces graines de tournesol que tu donnais aux écureuils. Je voudrais conserver jusqu’à leur ordre singulier. Cet ordre né du hasard de tes mains. A quoi bon tout cet hiver désormais sur mes épaules, tous ces lendemains, ces projets, puisque tu n’es plus là, puisque tu n’es plus là ?

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Merci pour tes yeux restés dans ce jardin qui va fleurir désormais après toi ; pour tes mains encore accrochées à la rambarde de la terrasse ; merci à tes longs doigts qui me cherchaient dans la chaleur du soir ; pour tes habits qui rendaient l’élégance à ton corps dans les foules des villes ; merci pour le mouvement de tes jambes qui fêtaient mon désir et accueillaient le tien ; pour tes silences endormis dans la fraîcheur des granges, la douceur des sables bouillants ; merci au jasmin de tes draps, à tout ce que disaient tes lasagnes dans le four, tes livres étranges abandonnés sur mon bureau pour que je les lise ; merci pour l’énigme de tes fous-rires, tes petits seins dans les vagues caressées ; merci à notre folle jeunesse, ce temps impartageable ; merci pour l’éternité de ton visage, l’éternité de tes cheveux, l’éternité de tes lèvres laissées dans le cercueil ; merci pour la musique de ta voix, la musique de notre vie, cette danse inouïe qui nous fut offerte ; merci pour toutes ces années d’amour ; toutes ces années passées près de toi, en toi ; merci pour tout, merci pour tout.

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Ce goutte à goutte de la pluie sur la verrière, c’est ce temps inexorable qui m’éloigne de toi à une vitesse incroyable. Je ne comprends pas bien cette précipitation des heures. Qu’ai-je fait pour que tu me laisses aussi seul ? Ai-je raté ton dernier train, mon dernier sourire, ton geste sur le quai ? Ai-je oublié de prendre ton bras dans le couloir, laissé tomber quelque chose trop bruyamment dans ta nuit en désordre ? Quelle est ma faute ? Qu’aurai-je dû ? Que me fallait-il faire ? Suis-je coupable d’être encore vivant ? Je te revois dans tous ces petits films inachevés, ces arrêts sur images. Ils prennent une ampleur infinie, un autre sens, la force de l’à-jamais. Toute cette vie arrêtée qui continue en boucle dans ma tête. Je suis une poule qui court avec la tête coupée. Jusqu’à quand tomberai-je dans tes bras qui n’existent plus ?

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A propos de mes derniers petits poèmes en prose

J’ai bien conscience que ce que j’écris au jour le jour sur ce blog, est à la fois un exutoire et une catharsis. Le droit à l’exhibition de cet intime, c’est celui que je confère au poème. C’est un choix réfléchi. C’est même l’objet de mon projet d’écriture depuis que j’ai l’âge de treize ans. Cela n’est pas une écriture thérapeutique, même si cela y ressemble. Je ne cherche nullement ici à me justifier. Cela n’est pas inhérent au deuil de Katy. Il y a évidemment d’autres raisons d’écrire, mais celle-là est la mienne. La sublimation d’un indicible, l’acception d’un lyrisme que j’estime consubstantiel au poème, c’est ce qui m’intéresse quand je lis ou que j’écris. La quête d’un « intime universel » comme l’écrit Victor Hugo, c’est aussi une forme d’engagement. L’Histoire de la poésie n’a jamais cessé, d’une façon plus ou moins masquée, d’en être l’objet. « Larvatus prodeo » écrivait Descartes en son temps. « Je m’avance en désignant mon masque. » Le XXème siècle qui s’ouvrait, entre autre, avec Dada, pour des raisons que je respecte, a cru bon de plonger l’art vers quelques avant-gardes qui se fondaient sur la destruction de ce qui était avant, la fameuse « table rase » qui, on le sait aujourd’hui, est une illusion qui aura engendré plus de théories que d’œuvres qui n’en ont pas besoin pour exister d’elles-mêmes. Le lyrisme aujourd’hui est en train de retrouver la place qu’il n’a, au fond, jamais perdue. L’oralité du poème et tout ce qui constitue aujourd’hui la modernité de ses supports doit se détacher lentement de ses représentations dadaïstes et de ses avatars de destruction et de déconstruction qui, on le sait désormais, furent comme la montagne de la fable qui accoucha d’une souris. Tout cela appartient désormais à l’Histoire du XXème siècle. La poésie d’aujourd’hui dessine déjà son nouveau visage vers le désordre accepté de tous les possibles. Elle est en train de renaître de ce formidable millefeuille fait de Dada bien sûr, mais aussi du surréalisme, de la beat generation, de l’Oulipo, du structuralisme et je passe sur toutes les officines qui auront jalonné et construit dans l’obscurité ce nouveau siècle. Une nouvelle forme de lyrisme, enrichi de tout cela reprend aujourd’hui sa juste place dans l’espace poétique et c’est une bonne nouvelle.

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L’absence, c’est une déferlante interminable. Elle nous entraîne vers les hauts-fonds. Jamais vers le large. Elle n’en finit pas de mourir. De nous rappeler à la terre ferme. Il me faudrait surfer dessus mais je n’en ai ni les moyens, ni le courage, ni l’envie. L’humour n’a pas de prise sur l’absence. Les requiems font rarement rire. Les briquets ne s’allument pas sous les vagues. C’est comme ça. J’ai beau tourner le poème dans tous les sens, cette absence-là, celle de Katy, je n’arrive pas à la rendre légère et aérienne. Je n’arrive pas à sécher mes ailes de mazout pour m’envoler vers elle. Peut-être n’ai-je pas ce talent ? Je n’ai jamais été que du sol de ceux qui s’étaient envolés sans moi.

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J’ai retrouvé son petit coussin entre le lit et le mur. Je l’ai pris dans mes bras. Il sentait ses dernières heures. Le chagrin m’a rendu fétichiste. J’ai pleuré dessus comme un enfant. Bientôt il ne sentira plus que mes larmes et ce moi-même qui n’a plus beaucoup d’importance. Mais il faut se redresser. Se redresser comme je la forçais à le faire quand je sentais qu’elle se voûtait trop. Je la revois rejetant ses épaules en arrière comme si elle était prise en défaut de laisser-aller. Je la trouvais tellement charmante quand elle faisait ça. Tellement drôle aussi. Mais cela c’était juste avant. Ce matin, il faut que je remue la terre du jardin. Arranger quelques fleurs. La terre et les fleurs n’ont jamais été que son élément. Je la retrouve là où je peux.

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Je n’arrive pas à me réveiller sans toi. J’allume au milieu de la nuit. Qui je dérange désormais ? Les minettes ouvrent un œil. Elles savent bien que je suis triste. Elles s’approchent et ronronnent. Je les caresse et elles retournent se coucher. La nuit est tellement longue. Je reprends mon livre qui me tombe des mains. C’est un peu normal à cette heure. Une étude de George Steiner. Je dois le faire exprès. Il est mort quelques jours après sa femme avec qui il avait vécu soixante ans ! Moi, ce qui me manque le plus, personne ne peut me le donner. Alors j’éteins et j’essaie de me rendormir. Je traverse avec toi la nuit des temps. Je t’ai vue au milieu du tunnel. Tu défaisais tes cheveux pour qu’ils sèchent. Nous prenions le même train sans gare. C’était un rêve d’un bleu si profond qu’on en oubliait ensemble la couleur. Tu m’attendais dans un tableau de Paul Delvaux. Je n’arrive pas à me réveiller sans toi. Je n’arrive pas à dormir non plus.

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J’avais parfois l’impression que tu appartenais à une autre planète. Tu semblais si lointaine certain jour. Mais c’était peut-être moi qui l’étais. Pour rien au monde je n’aurais voulu laisser ma place à quelqu’un d’autre auprès de toi. On se tenait tous les deux dans l’équilibre magique et mystérieux d’une même équation. Un équation à la fois fragile et très forte. Pour la nommer, on n’avait pas trouvé d’autre mot que le mot « amour. » Mais il était tellement galvaudé. Tellement mis à toutes les sauces. Tellement ridicule au fond. Quel était vraiment son poids dans les ritournelles que nous aimions écouter ensemble à la radio ? L’amour est une auberge espagnole. Il n’a que le contenu qu’on lui accorde. On croyait boire de l’eau et c’était un alcool fort.

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Dans la maison, les feux de tes dernières présences s’éteignent lentement. Ce sont de merveilleuses braises de toi au milieu de quelques fleurs qu’il me faut arroser. Elles ne seront bientôt plus que les miennes. Un héritage si doux, si fragile. Je ne veux pas que tu meures en moi. Je n’aurai pas eu le choix de la première mort, je veux retenir la seconde. Allez. Voyage encore en nos mémoires, mon amour. Déguise mon chagrin. Danse sur ce temps qui dérive. Rien ne doit s’arrêter. Tant que je vivrai, j’inventerai notre intime éternité. Ce sera notre bien le plus précieux. Et de ton cerveau lavé de son sang funeste, j’emporterai avec moi la fin de tes phrases les plus belles, celles qu’il me fallait deviner.

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Je dis toujours la même chose. Je radote sur tes mains, ta silhouette. Mais ce qui me reste de toi est si immense que cela n’entre dans aucune de mes phrases. Alors je te découpe laborieusement en images, en souvenirs, en parfums. Comme si je reconstituais un puzzle impossible et merveilleux. Un puzzle qui, au fond ne serait jamais fini. Je ne dérangerai pas tes livres, tes bibelots, ta collection de cactus. Tu as mis trop de temps à les ordonner sur les étagères. J’aurais l’impression de te trahir. Je dis toujours la même chose mais tu le sais, la grande douleur est toujours muette. Elle n’a aucun mot. Elle reste bloquée dans la gorge. Elle n’est pas faite de larmes. C’est une violence qui n’a pas encore trouvé sa langue. Elle était là avant le poème.

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ll y a onze miroirs dans la maison. De grands miroirs. Au moins un dans chaque pièce. Elle disait que c’était pour repousser les murs, pour multiplier la lumière. Mais c’était elle la lumière. Ils ne reflètent plus aujourd’hui que son absence. Je la revois dans l’entrée avant qu’elle ne sorte. Essayant un foulard, une écharpe, un tour de cou, un rouge à lèvres discret. Ses yeux se regardant. Il n’y avait rien de narcissique en cela. C’était seulement un regard critique. Il était hors de question d’être mal mise comme elle disait. Elle admirait ces vieilles dames toujours impeccables malgré leur âge. C’était la marque d’un respect face au temps qui dégrade. Un combat contre la vieillesse. La coquetterie met à distance la déchéance physique. Parfois je la regardais marcher devant moi sur l’allée. J’étais fasciné par l’élégance de sa silhouette, moi qui n’aie jamais été qu’un lourdaud fuyant son corps dans la beauté des mots. Elle se retournait en souriant. M’attendait pour me prendre le bras. Je n’ai plus de bras et la rue est aveugle d’elle aujourd’hui. Son corps ne se promène plus qu’en moi désormais.

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Nous sommes faits pour les autres. Pour garder la tête hors de l’eau. Belle jeunesse voici ma main posée, mon passé en reste, toutes ces ruines qui seront bientôt sans légende. Car tout finit par s’oublier. Ces débris de mémoire volant dans les pages des livres. Cette vie arrêtée sur le lit des urgences. Et l’obsession. L’obsession du temps dans les vagues. Tout le ressac de ce qui demeure. Le puzzle se referme. Notre jeu de cartes est complet, désormais. Je dois juste me méfier des larmes à la tombée du jour. Prévoir à l’avance le désastre de ton vide ; le réveil brutal après l’engourdissement de la sieste. Oh retiens-moi belle jeunesse. Je te promets d’être à la hauteur, en relai éternel et sans regret. J’ai attaché ton dernier collier à celle qui nous prolonge.

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Tout est dans le détail. Un coton oublié sur un flacon Avène. Quelques cheveux sur une brosse. La poubelle oubliée dans la rue. Un léger déplacement de l’absence. Du jamais plus. Une silhouette au réveil qui n’est plus là dans la porte entrebâillée. Tout ce que je fais désormais dans la mécanique du petit déjeuner. Cette chaleur qui ne sert plus à rien. C’est idiot, j’ai monté le chauffage pour toi qui avais toujours tellement froid. Si je mets de l’ordre dans tes tiroirs, t’effacerai-je un peu plus ? Sur l’allée, mes pas ne sont plus nos pas. Ce matin, je n’ai rien pu déposer dans la boîte à lire. Je veux que tu restes encore entière dans la maison, dans tout l’univers. Laisse-moi encore un peu de toi. Laisse-moi tous ces détails qui te retiennent encore ici. L’absence, c’est bête comme un livre qui dépasse sur une étagère.

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Je me souviens de notre première rencontre. Rien ne présidait à une telle destinée. On était tellement différents. La seule chose qui nous unissait était notre dégoût de la solitude. Tu me le rappelais il n’y a pas si longtemps : « Ce que tu m’as appris avant tout, c’est que même quand on aime on est toujours seul. » C’est là une phrase d’une désarmante banalité. Une telle phrase, je l’aurais biffée sans état d’âme quand j’étais plus jeune. A force de vouloir être original, le mauvais poète est aveuglé par la recherche de son style. Le mauvais poète tuerait père et mère pour se faire admirer de ce qu’il écrit. Pour être reconnu du lecteur, le mauvais poète est prêt à tous les artifices. Le mauvais poète fait tout pour rendre son écriture ostensible et identifiable dans le marigot. Le premier engagement du poète, c’est d’accepter la banalité si elle est juste, exacte dans son expression. Il ne doit jamais se perdre dans la confusion rhétorique et répétitive des miroirs. Même quand on aime on est toujours seul. C’est toi qui m’a appris à ne pas avoir peur de rester simple.

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Le jour se lève mais je le suis déjà. Tes vêtements sont immobiles dans la penderie. Là où nous fûmes est encore ici. Entre les draps, les plis du dernier hiver. Rien n’arrive à me détacher tout à fait de toi. Rien ne peut te remplacer. Je le voudrais que je ne le pourrais pas. Tu demeures dans cette fatigue du temps et le désordre de tant d’images. Je le sais bien, ce qui est gris est gris. Je t’écris de si loin désormais. Nous aurons traversé ensemble l’impartageable. Tu m’auras laissé à mon lyrisme, l’orgueil de mes poèmes, cet indicible de l’intime. Dans ce pays qui fut le nôtre, je suis cet amputé de toi qui accueille nos chers étrangers.

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J’aurai été fidèle. J’aurai tout bien fait comme ton petit soldat : les courses, la pharmacie, mon bras sur lequel tu t’appuyais si douloureusement vers la fin. J’aurai nourri les chats, les oiseaux, rempli le frigo, la cuisine et mes cahiers de poèmes où dort encore l’image de ton petit corps qui n’arrivait plus à se lever. Tu peux être fier de moi. Nous aurons formé une belle équipe avec notre fille. Nous aurons su perdre la tête haute. Résister à la bêtise des barrières, aux lumières aveuglantes, à l’attrait des paillettes et des récompenses. Je n’aurai pas été parfait bien sûr. La perfection existe-t-elle quelque part ? Mais ce que j’aurai fait, je l’aurai fait pour la beauté de tes yeux qui me regardent encore sur la terrasse ; pour l’approbation de ton corps si mince, ce corps tant aimé penché sous la lampe du soir devant la fenêtre. Pour ce silence complice qui ne cesse encore aujourd’hui de m’envahir. Pour ce silence que tu me laisses comme l’offrande infinie de notre vie.

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Cinq heures. Où est-donc le jour ? Tu t’installes en moi mon absente. Tu prends tout ton temps. Tout le silence. Tu me secoues pour que je m’éveille encore, me souvienne de toi. Ta mort dans l’âme. Ce n’est pas juste, non ce n’est pas juste de me sortir encore de ce sommeil si léger. Jusqu’à quand ta mort en moi ? Jusqu’à quand ta belle silhouette dans le couloir, la salle de bain, tes flacons fermés, l’éternité sur l’interrupteur, toutes ces images entre mes gommes, mes mouchoirs ? Tu n’avais pas besoin de revenir, tu n’étais pas partie. Tu étais toujours là. Avec les gencives de tes dents, tes yeux de puits verts, tes mains qui ne caressent plus ma vieille peau. Tes mains si souples, si lentes, si tièdes. Ces doigts consumés qui ne brodent plus rien que ce vide en moi et le désastre de ma nuit qui n’en finit pas.

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Ce soir encore, je voudrais tellement te prendre dans mes bras. On n’aura pas eu le temps. On n’aura pas eu le temps de tout nous dire, de tout mettre en ordre. On avait tant de choses encore à faire. Visiter Naples par exemple. Ce printemps. Tu te souviens ? Il y a encore le guide sur la table. Revenir un mois en arrière. Effacer toute cette absence, me laver de cette poisse. Non, ce n’était pas comme cela que je prévoyais l’avenir. Ce soir, je ferme tous seul les volets, ces gestes que nous nous partagions. Ta vie était collée à la mienne comme un doux pansement. Dans la maison déserte, je m’entends gémir quand je pleure. Cela va passer bien sûr. Cela finit toujours par passer. Si tu savais combien mon manque de toi est chose fatiguante.

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Ce matin il pleut des cordes sur le jardin. Cela me rappelle ce merveilleux petit poème des « Illuminations » d’Arthur Rimbaud : « J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse. » Sauf que je n’arrive pas bien à danser ce matin. Il faudrait que j’arrange les rosiers, ratisse quelques feuilles mais je n’en ai pas le courage. Tu me houspillerais pour que le fasse, c’est sûr. Mais tu me regardes et me souris simplement sur la cheminée. J’en oublie que tu fus vieille toi aussi. De toute façon tout est injuste dans cette histoire.

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Voici l’heure du soir. La tombée des ombres. La venue lente de la nuit qui, une fois de plus, ne sera pas mon amie. Ce moment où je prenais ta main pour me moquer avec toi de ce qui était triste ; réactiver quelques projets à venir. C’est ce moment-là qui est si douloureux, si difficilement partageable. L’espérance était pour toi un vieux mot qui te faisait rire. Un mot que tu méprisais. Tu n’aimais pas les grandes phrases, les grandes messes, ce lyrisme exagéré des poèmes. Tu étais terre à terre et pourtant tellement inattendue. Tellement proche et si lointaine. Ce soir, je m’endors près de toi. Dans une étreinte sans toi. Il faut que le temps t’efface. Il me faut redessiner nettement la séparation du jour et de la nuit. Ne rien gommer de cette lumière grise. Mais je ne peux pas. Je ne peux pas.

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Ce que nous fûmes est si loin déjà. Nos yeux n’atteignent plus nos jeunes corps ni cette mer étale sous le ballet des oiseaux. Ton visage halé demeure dans l’azur de cet avant-midi. C’était un si bel été. Je n’entends pas d’ici le clapotis de tes doigts dans l’eau verte. Non tu ne te baigneras pas ce matin. L’eau est trop froide. Il ne faut pas entraver les dérives. Il faut libérer les embâcles de bois flottés, faire se rejoindre les images inédites de l’album. Tu t’es retourné pour me regarder une nouvelle fois pour que cela ne soit jamais la dernière. Si tu savais en cet instant mon désir de te rejoindre. Mais cela ne se fait pas. Chez nous, c’est interdit. Chez nous, on est fait du combat d’aimer et de vivre. Pas de cette mort facile qui laisse les vivants à l’insupportable absence.

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Ce matin, je suis allé à la Poste pour remettre la carte bleue et le dernier chéquier de Katy. Le conseiller fiscal a ouvert le carnet, et il a commencé par faire un trait sur chacun des chèques vierges. A chaque trait qu’il faisait, la vie future de Katy s’effaçait devant moi, tous ses achats que nous ne ferions plus ensemble, cette vie qui ne serait plus jamais la même sans elle. Une vie sans elle qui n’en finissait pas de commencer. Il a rangé ce carnet et cette carte sur une étagère. Je les ai regardés une dernière fois. Non, nous ne choisirons plus ensemble les couleurs des vêtements, les motifs des chemisiers, les marques de yaourts, toutes ces choses que je croyais sans importance. Et c’était ridicule ces larmes qui montaient en moi sans contrôle possible. Il faut toujours rester sur ses gardes. Être attentif. Mettre à distance cette douleur invasive. On ne connaît jamais l’endroit exact où elle s’insinue. Ce moment où elle triomphe contre nous.

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